Vous avez été nombreux à poser des questions sur le climat et son évolution dans les Terres australes.
Vincent Favier est glaciologue à Grenoble, il a étudié les glaciers de Kerguelen. Cet hiver, il était en Antarctique pour ses recherches, mais il a pris le temps d'apporter des réponses avant son départ (merci à lui). Un peu de lecture donc pour aujourd'hui (et une vidéo tournée dans son laboratoire en fin de post).
Est-ce qu'il neige beaucoup aux pôles?
CP de Chateauneuf Grasse (06)
Pour commencer, Antarctique / Terres australes... quelles différences?
Déjà il faut savoir à quelle région nous nous intéressons. De quel pôle parlons-nous?
Nous parlerons uniquement du sud. Mais attention, les Terres australes ne sont pas situées "au pôle". "Au pôle" Sud se trouve l'Antarctique, alors que l'archipel des Kerguelen, par exemple, est situé dans la zone sub-Antarctique, dans une zone balayée par les vents d'ouest qui transportent les dépressions. Même si le climat s'est asséché au cours des 50 dernières années, il pleut beaucoup à Kerguelen. La région située à l'extrême ouest, où se trouve la calotte Cook, reçoit 3 à 4 mètres d'eau par an. Néanmoins, cette zone est encore très loin du pôle et de l'Antarctique.
L'Antarctique : c'est un continent grand, haut (plus de 2000 mètres d'altitude en moyenne), froid et relativement isolé du reste du monde car les dépressions qui se forment sur les océans qui entourent le continent ont tendance à tourner autour de lui. Néanmoins, elles arrivent parfois à entrer sur le continent et créent alors des précipitations relativement abondantes sur la péninsule Antarctique et en zone côtière (c'est à dire sur les 100 premiers kilomètres depuis la côte). Sur la côte, à proximité de la station Dumont d'Urville, il s'accumule environ 80cm de neige, ou 40 cm d'eau (gelée) par an. Par contre, plus on entre à l'intérieur du continent moins il neige, car les dépressions se vident peu à peu de leur humidité. Le fait de devoir monter en altitude et d'être dans un contexte extrêmement froid accentue ce phénomène. Il neige donc de moins en moins à mesure que l'on entre sur le continent. Au dôme C, il neige seulement 8 cm de neige par an environ, soit l'équivalent de 3 cm d'eau. Par contre, même s'il neige peu sur le continent, l'air est si froid que les précipitations se produisent dans des conditions atypiques. En effet, au dôme C, il fait si froid que l'air n'arrive pas à garder d'eau et rejette l'eau dès qu'il le peut. L'humidité peut se condenser sous forme de petites particules, même lorsqu'il n'y a pas de nuages, on dit alors qu'il neige par "ciel clair". Les cristaux sont alors si petits qu'on dit qu'il neige de la poussière de diamant. Au dôme C, 40% des précipitations de neige tomberaient sous forme de poussière de diamant et 60% proviendraient de précipitations lors du passage des dépressions. Au final, à l'échelle du continent Antarctique, il tomberait chaque année seulement 17 cm par an d'eau. C'est guère plus que dans la zone Saharienne. L'Antarctique est donc un désert, c'est le plus grand désert du monde.
Comment fait-on pour suivre l'évolution du glacier à Kerguelen? Est-ce qu'on utilise des images satellites? On installe des capteurs sur place? On envoie des équipes pour mesurer chaque année?
(Terminale S Lycée français de Londres)
Avec le LGP (Laboratoire de Géographie Physique), nous avons fait plusieurs campagnes de terrain entre 2010 et 2015, au cours desquelles nous avons installé des stations météorologiques et effectué des mesures géophysiques et glaciologiques. Chaque mission a duré environ 2 mois et demi et nous étions 3 scientifiques sur le terrain. L'essentiel de nos mesures a été effectué sur le site de la Mortadelle, à proximité du Glacier Ampère. En revanche, le glacier est aussi suivi à l'aide d'images satellites, par Etienne Berthier du LEGOS (Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiales) à Toulouse. Avec Vincent Jomelli (LGP), en charge des études paléoclimatiques (sur les climats anciens) de notre programme, nous avons effectué une présentation aux séminaires de l'observatoire Midi Pyrénées dans laquelle nous avons présenté l'objectif et les méthodes du programme glaciologique à Kerguelen, vous pouvez retrouver cette présentation ici.
Serait-il pertinent d’envisager que le rétrécissement des glaciers n'est pas en lien direct avec le réchauffement climatique mais est dû a la quantité de précipitation qui elle évoluerait de manière cyclique sur des centaines d'années ?
(Lycée Jules Ferry, Cannes)
Oui, la variabilité climatique naturelle est très forte dans ce secteur, c'est pourquoi l'idée proposée dans la question est possible. Mais malheureusement, dans nos travaux nous avons pu reproduire les précipitations ayant permis au glacier de rester assez stable du début du 19ème siècle jusqu'en 1960. Les valeurs sont restées assez stables (entre 100% et 90% des précipitations observées dans les années 1950-60). Après 1963, les précipitations ont fortement baissées. Elles sont aujourd'hui 50% plus faibles qu'en 1950. Certes, cela ne prouve pas que le changement est d'origine anthropique, mais malheureusement, l'assèchement et le déplacement des précipitations est observé à l'échelle de la bande latitudinale occupée par Kerguelen dans l'hémisphère sud.
Plus encore, cet effet est bien reproduit par les modèles de climat, et les causes de ces variations sont étudiées, comprises et prédites depuis assez longtemps. Nous ne faisons ici qu'observer empiriquement un phénomène qui était déjà décrit dans la littérature par les modélisateurs du climat.
Vous pouvez retrouver les explications de Vincent Favier en détail dans ce podcast de France Inter.
Y-a-t-il un moyen (même artificiel) pour diminuer la pression atmosphérique et donc augmenter les précipitations sur l'île de Kerguelen?
(Lycée Jules Ferry, Cannes)
Oui, il y a un moyen : combler le trou d'ozone et arrêter le réchauffement climatique des moyennes latitude. En effet, les changements de circulation sont associés à l'augmentation du gradient de pression entre les moyennes et hautes latitudes, gradient que l'on évalue à l'aide d'un indice appelé SAM (mode annulaire austral). Le SAM a fortement augmenté au cours des dernière décennies pour atteindre les valeurs les plus fortes de l'indice à l'échelle du millénaire. La cause de cette augmentation est la présence du trou d'ozone en Antarctique d'une part et en raison du réchauffement de l'atmosphère des basses et moyennes latitudes (augmentation des gaz à effet de serre). Pour combler le trou d'ozone, nous avons déjà fait ce qu'il fallait avec en signant le Protocole de Montréal le 16 septembre 1987. Cet accord a permis de réduire la production et la consommation de CFC dans les bombes aérosols et les réfrigérateurs, composés qui détruisent l'ozone stratosphérique. Cet accord est un exemple de l'intérêt de politiques globales, et de leur effets bénéfiques. C'est un bel exemple de la démarche qu'il faudrait mettre en place vis-à-vis de la consommation des combustibles fossiles, principale source des gaz à effet serre qui risquent fort de continuer à jouer de façon croissante sur le déplacement du rail des dépressions vers le sud des Kerguelen.
Bonjour, je viens d'étudier le cas des glaciers de Kerguelen et je voudrait savoir si la changement de circulation atmosphérique, qui cause le recul du glacier Ampère, peut profiter à d'autres îles ? C'est à dire qui peut permettre l’expansion d'un glacier d'une autre île sub-antarctique.
(Lycée Jules Ferry, Cannes)
Malheureusement, il n'y a pratiquement pas d'îles juste au sud (en dehors de Heard Island qui est déjà pratiquement totalement englacée). Par contre, ce changement de circulation "profite" à la Péninsule Antarctique, où il provoque une augmentation des précipitations. Mais malheureusement, dans ce secteur le réchauffement climatique est intense provoquant aussi une fonte intense en surface des glaciers. Les changements de circulation des eaux de surface de l'océan participent aussi à faire reculer les glaces de la Péninsule. Ainsi, malgré l'augmentation des précipitations neigeuses en Péninsule, les glaciers y reculent très rapidement.
Quelles variations de zones de pression peut-on prévoir au niveau de l'Antarctique, dans les années qui viennent?
(Lycée Jules Ferry, Cannes)
Comme dit précédemment, les pressions sont censées diminuer en Antarctique surtout en bordure de l'Antarctique. Ainsi, dans un contexte de réchauffement climatique, les précipitations devraient augmenter en Antarctique. Néanmoins, on ne s'attend pas à trouver de tendance significative par rapport à la variabilité naturelle avant 2030-2040.
Et enfin, un résumé en vidéo des travaux de Vincent Favier et son équipe.
N'oubliez pas, dans la rubrique Ressources, thème 1 (Océans/atmosphère/climat), vous avez des dossiers pédagogiques à votre disposition pour étudier toutes ces questions en direct.
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